Quid de l'Insaisissabilité
Depuis la loi du 1er août 2003, le chef d'entreprise a la possibilité de déclarer insaisissable une partie de son patrimoine. Au départ cette loi ne permettait de ne rendre insaisissable que la résidence principale. Puis la loi du 4 août 2008 dite "loi de modernisation de l'économie" a également permis à l'entrepreneur de rendre insaisissable les biens fonciers bâtis ou non bâtis non affectés à un usage professionnel. Enfin la loi pour la croissance l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 dite "loi Macron" a modifié l'article L 526-1 du code de commerce puisqu' à présent la résidence principale du chef d'entreprise est de plein droit insaisissable. Cependant cette insaisissabilité ne concerne que les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne.
Il convient de distinguer entre l'insaisissabilité de droit instaurée par la loi Macron et la déclaration d'insaisissabilité antérieure à l'application de cette loi. En effet pour les résidences principales ayant fait l'objet de déclaration d'insaisissabilité soit antérieurement à la loi Macron, seuls les créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à la publication de la déclaration subissent l'es effets de l'insaisissabilité. Il faut par conséquent que la créance soit née après la déclaration d'insaisissabilité pour être protégé de ses créanciers. Les créanciers professionnels qui ont une créance antérieure à la déclaration d'insaisissabilité pourraient parfaitement engager une procédure afin de saisir l'immeuble. Il en est de même pour les créanciers personnels de l'entrepreneur.
Pour ceux qui n'ont pas fait de déclaration d'insaisissabilité et qui ne sont donc protégés que par la loi Macron, il faut savoir que cette loi ne protège l'entrepreneur qu'à l'égard des créanciers professionnels, la Cour de Cassation a eu l'occasion de préciser que les cotisations RSI étaient des créances professionnelles. Par conséquent les créanciers personnels pourraient procéder à la saisie de l'immeuble peu importe que leur créance soit née avant ou après la promulgation de la loi Macron.
La difficulté est de déterminer à quel moment le créancier pourrait engager la vente de l’immeuble malgré l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
La Cour de Cassation dans un arrêt du 5 avril 2016 (n° 14-24.640) considère que le créancier hypothécaire à qui la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble appartenant au débiteur était inopposable et qui a entrepris une procédure de saisie immobilière pouvait parfaitement mener à bien la procédure de saisie immobilière sans même avoir à saisir le juge-commissaire.
La Cour d’appel de Grenoble qui avait considéré dans sa décision du 30 juin 2014 que l’immeuble du débiteur ayant fait l’objet avant l’ouverture de la liquidation judiciaire d’une déclaration d’insaisissabilité n’autorisait pas le créancier hypothécaire à s’abstenir de saisir le juge-commissaire d’une demande de vente aux enchères publiques en application des dispositions des articles L 642-18 et R 642-22 et suivants du Code de Commerce a donc vu sa décision cassée.
Cette première décision s’inscrit clairement dans la dérogation à la suspension des poursuites qu’instaure pourtant l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Dans une seconde décision du 12 juillet 2016 (n° 15-7.321) la Cour Suprême réaffirme que le créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble.
Enfin dans un avis du 12 septembre 2016, la Cour de Cassation considère qu’il n’y a même pas lieu à rendre un avis sur la question de savoir si le créancier à qui est inopposable la déclaration d’insaisissabilité est fondé à poursuivre la vente par voie de saisie immobilière sur lequel il bénéficie d’une sûreté et dans l’affirmative s'il doit procéder selon les formes du droit commun de la saisie immobilière et s’il est également soumis à la procédure spéciale donnant compétence au juge-commissaire pour autoriser la vente.
La Cour de Cassation balaie ces différentes questions précisant qu’elles ne sont pas nouvelles et ne présentent plus de difficulté sérieuse compte tenu des deux arrêts précités.
La prochaine étape sera sans doute de considérer qu’un créancier hypothécaire qui a une sûreté sur un immeuble appartenant au débiteur et à qui la déclaration d’insaisissabilité est inopposable pourra agir en dehors de la procédure collective et ne sera même plus astreint à l’obligation de déclarer sa créance. On pourra même se demander si l'interdiction pour le débiteur de régler des créances antérieures à l'ouverture de la procédure pourrait toujours concerner le remboursement d'un prêt hypothécaire ayant servi à l'acquisition de l'immeuble insaisissable
Encore faut-il que le créancier soit particulièrement vigilant sur les délais que le débiteur risque de lui opposer conformément à l'article L218-2 du Code de la Consommation sur les procédures civiles d'exécution relatives à la prescription biennale.
En effet, contrairement à ce qu’a pu prétendre le prêteur dans le cadre du litige ayant conduit à l'arrêt précité du 12 juillet 2016, une déclaration de créances n’interrompt nullement la prescription jusqu’à la clôture de la procédure collective.
L'effet interruptif de prescription attaché à la déclaration de créances prend non pas fin à la date de clôture mais à la date où une décision ayant statué sur la demande d’admission a été rendue.
La question de l'insaisissabilité s'avère délicate si l’immeuble grevé perdait le statut de résidence principale, le législateur n’ayant apporté aucune réponse à la difficulté de savoir si l’immeuble restait insaisissable dans la mesure où le débiteur déménageait.
Il en est de même si à l’inverse un immeuble appartenant au débiteur qui ne constituait pas sa résidence principale le devenait.
Il existe également une autre exception à la protection de la la loi Macron ou à la déclaration d'insaisissabilité effectuée avant la promulgation de cette loi, en effet L'article L526-1 du Code de commerce prévoit que l'insaisissabilité "n'est pas opposable à l'administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l'encontre du déclarant, soit des manoeuvres frauduleuses, soit l'inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales..."
Il convient également d'invoquer la question délicate des immeubles mixtes c'est-à-dire des immeubles qui ont une partie professionnelle et qui constituent la résidence principale du chef d'entreprise.
L'article L 526-1 du code de commerce issue de la loi du 6 août 2015 précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire. Il y a pour le moment très peu de commentaires sur cette difficulté ; s'il paraît évident que l'insaisissabilité s'étend à l'ensemble immobilier dès lors qu'une partie de cet ensemble est utilisée à titre de résidence principale, on pourrait parfaitement soutenir que cet article ne prévoit d'insaisissabilité qu'à propos de la partie non utilisée pour un usage professionnel de sorte que a contrario la partie affectée à l'activité serait saisissable. Il serait par conséquent envisageable que le liquidateur judiciaire prenne l'initiative d'une division ou d'un règlement de copropriété afin de réaliser les biens non affectés à la résidence principale. Il appartiendra au Juge-Commissaire chargé de veiller aux intérêts des parties en présence de trancher cette difficulté.